La zone militaire rattachée à Bruxelles
De 1940 à juillet 1944, la Belgique et les deux départements français du Nord et du Pas de Calais ont été placés dans une même entité administrative sous contrôle allemand : la zone militaire rattachée à Bruxelles. Cette zone stratégique pour les Allemands par sa proximité avec l’Angleterre, alors l’ennemi le plus affirmé de l’Allemagne nazie, aurait permis de planifier une future invasion.
Au sein de la zone militaire rattachée à Bruxelles, de nombreux Tsiganes ont fait l’objet de rafles à partir de 1943, année où est donné l’ordre de déporter les Tsiganes des Pays-Bas et de la zone militaire rattachée à Bruxelles.
« Après la déportation des Juifs dans les Ghettos et dans les centres d’extermination, la question tsigane est à nouveau d’actualité. Himmler décide le ‘transfert des Mischlinge, des Tsiganes roms et ceux des Balkans dans un camp de concentration’ le 16 décembre 1942, décision connue sous le nom d’Auschwitz-Erlass, mais dont on ne connaît que le décret d’application du 29 janvier 1943. Exactement deux mois plus tard, le 29 mars 1943, est pris l’ordre de déporter les Tsiganes des Pays-Bas et de la ‘Zone rattachée à Bruxelles’ » (Heddebaut, 2018, p. 74).
Le nombre total de Tsiganes arrêtés en vue de déportation dans la zone militaire rattachée à Bruxelles est estimé à 350 personnes, raflées entre octobre 1943 et janvier 1944. Un chiffre qu’il s’agit de considérer avec précaution car les informations existantes sur le traitement des Tsiganes en Belgique pendant la guerre sont tout particulièrement rares, lacunaires et éparses. Un nombre important des Tsiganes raflés en Belgique et dans les départements Nord et Pas-de-Calais, ont été envoyés à la caserne Dossin à Malines, avant d’être déportés vers Auschwitz.
A partir de cette date, des convois de Tsiganes (ou comprenant de nombreux Tsiganes) démarrent alors vers Auschwitz-Birkenau en provenance de toute l’Europe. Parmi ces convois, le convoi Z du 15 janvier 1944, parti de Malines pour emmener 351 Tsiganes vers l’extermination. Il s’agit d’un des seuls événements à avoir été documenté au sujet des persécutions des Tsiganes en Belgique pendant la guerre. L’explication en est que ces 351 personnes ont été identifiées rigoureusement à la caserne Dossin de Malines : leurs noms, prénoms, dates et lieux de naissance ont été rassemblés pour constituer ce qui s’appellera la Liste der Zigeuners. A noter que les dossiers des Tsiganes du convoi Z ont été transférés aux Archives générales du Royaume à Bruxelles début 2018 (Heddebaut, 2018).
« Dans la ‘Zone rattachée’, 350 arrestations se seraient déroulées entre le 5 novembre 1943 et le 7 janvier 1944, selon les dates extrêmes de la Liste der Zigeuners transcrites à Malines, avec les réserves qui s’imposent. Les procès-verbaux d’arrestations sont suffisamment renseignés et précis côté français pour dresser une liste des localités et des personnes. Côté belge, les indications sont postérieures à la fin du conflit ou ne reposent que sur quelques témoignages » (Heddebaut, 2018, p. 75).
Des premiers Tsiganes déportés à la rafle générale de l’automne 43
Bien que les autorités belges avaient reçu l’ordre d’arrêter les Tsiganes, il semble que celles-ci eurent tendance à laisser l’occupant allemand se charger de ces vastes opérations d’arrestations : « A la lecture des différents dossiers il apparaît que le bureau des Etrangers délègue aux autorités allemandes le soin de régler le problème des Tsiganes » (Heddebaut, 2018, p. 75).
Cependant il faut noter que les premiers Tsiganes de Belgique à avoir été déportés à Auschwitz ont été arrêtés avant même l’ordre de déportation lancé par Himmler le 29 mars 1943. Ceux-ci auraient en réalité été arrêtés à Anvers en vertu de l’interdiction du commerce ambulant adoptée en Flandre le 12 novembre 1940 :
« Mais l'interdiction décrétée par l'ordonnance du 12 novembre 1940 ne semble pas entièrement respectée : le 6 février 1943 entrent à la prison d'Anvers neuf Tsiganes livrés par la GEP 712. Clara Modis, sœur de l'un d'eux, se souvient de l'irruption soudaine de la police allemande dans le campement à Anvers et de ces arrestations, à ses yeux inexplicables. La GFP se saisit de quelques hommes, laissant en liberté les familles. Sans doute n'agit-elle là qu'en vertu de l'ordonnance de 1940 car les entrants sont enregistrés sous "arrestation provisoire". La politique de Himmler en décidera autrement. Le 14 mai 1943, toujours enfermés à Anvers, les détenus provisoires passent sous la juridiction de la SIPO qui manifestement ne possède pas encore d'instructions spécifiques à leur égard. Elle les maintient à Anvers jusqu'au 26 juillet, date à laquelle, en compagnie d'un Belge, elle les transfère à la Citadelle de Huy où ils ne restent qu'un mois. Le 30 août, ils sont à Saint-Gilles. Depuis le 29 mars, aux Pays-Bas, Himmler a décrété la déportation à Auschwitz de tous les Tsiganes. Ces pérégrinations montrent que leur libération n'est plus envisagée, mais que l'ordre décisif n'est pas encore donné. A quinze jours des arrestations massives sur tout le territoire belge, la SIPO de Bruxelles les transfère à la Prison d'Aix-la-Chapelle, et en novembre ils sont à Auschwitz » (Gotovitch, 1976, p. 167).
S’en suivent une série de rafles en Belgique et dans le Nord de la France, pendant l’automne 1943. Les archives permettent d’avancer plusieurs lieux clés avec certitude, notamment Tournai (Hainaut), Hasselt et Maaseik (Limbourg) et Bruxelles pour la Belgique :
« Premiers Tsiganes de Belgique internés à Auschwitz, ils y retrouveront bientôt leurs familles car fin octobre débutent brutalement sur tout le territoire de Belgique et du Nord de la France les arrestations massives. L'ordre, une fois de plus, semble être venu directement de Himmler. Les maigres données rassemblées à ce sujet permettent de dater du 22 octobre 1943 à Tournai les premières arrestations connues : 19 personnes, la famille Karoli. Vont se succéder rapidement en novembre et jusqu'au 6 décembre les arrestations opérées à Tournai encore, Hasselt, Bruxelles, Arras, Roubaix. Le scénario est chaque fois semblable : au petit matin des camions de la Feldgendarmerie encerclent les roulottes. Armes au poing, les policiers font monter les familles au complet dans les camions. Les itinéraires menant à Malines varieront selon les cas. On constate ainsi que né à Bruxelles le 6 décembre, un bébé sera interné le jour même à la Caserne Dossin. Parmi les 36 premiers entrants (date ignorée) figure Paprika Galut, arrêtée avec sa famille à Hénin-Liétard. Après une nuit à Lille, elle sera expédiée à Malines. Par contre, Kore Taicon, arrêté à Tournai, passera d'abord une quinzaine de jours à la prison de cette ville. Au 6 décembre 1943, Malines renferme 166 Tsiganes dont l'arrestation a été opérée en Belgique et dans le Nord de la France. Trois jours après se présentent aux portes de la caserne les 182 victimes qui complèteront le convoi » (Gotovitch, 1976, p.168).
Qu’en fut-il des autres provinces de Belgique ? Il faut savoir que l’offensive de mai 1940 avait généré un exode vers la France de plus de 2 millions de Belges, parmi lesquels la plupart des familles tsiganes. Concernant les rafles de 1943, Heddebaut avance : « Les provinces de Namur, Liège, Luxembourg, le Brabant n’ont pas été touchées. Rappelons néanmoins que la Flandre occidentale et orientale a été vidée de ses « indésirables » et que onze hommes tsiganes ont été arrêtés début 1943 à Anvers. Ils ont précédé ceux du convoi Z à Auschwitz. Mais cela signifie-t-il pour autant qu’il ne s’y trouve plus aucun Tsigane à cette date ? Ont-ils fuit les lieux les plus exposés ou bien se sont-ils cachés efficacement ? » (2018, p. 87).
Références :
- GOTOVITCH, J., (1976). Quelques données relatives à l'extermination des Tsiganes en Belgique. Cahiers d’histoire de la seconde guerre mondiale, 1976, no 4, pp. 161-180.
- Heddebaut, M., (2018). Des Tsiganes vers Auschwitz. Le convoi Z du 15 janvier 1944. Editions Tirésias.