Dans son ouvrage « Quelques données relatives à l’extermination des Tsiganes en Belgique » (1976), José Gotovitch a documenté le sort de plusieurs familles tsiganes belges qui, pour fuir l’invasion allemande en Belgique, prirent la route vers la France. C’est là que, dans un contexte d’interdiction de circuler et d’ouverture de camps d’internement pour nomades à travers tout le pays, de nombreux Tsiganes belges furent arrêtés et enfermés notamment au camp de Montreuil-Bellay. C’est au sein de ces murs que plusieurs familles se sont associées pour demander leur libération et leur retour en Belgique. Bien souvent, ces tentatives et espoirs furent déçus : « (…) les assignés à résidence ou internés se sont parfois donnés les moyens de revenir là où ils ont des habitudes, des ancrages, mais surtout là où ils se sentent en sécurité. Le cas le plus emblématique est celui des Tsiganes belges internés en France et qui n’ont eu de cesse de revenir en Belgique, là où ils vont être arrêtés » (Heddebaut, 2018, p. 51).
Ces 9 familles de Tsiganes belges, enfermées au camp de Montreuil-Bellay, ont cherché par tous les moyens à retrouver leur liberté et à se diriger vers la Belgique :
« Le 6 décembre 1941, neuf chefs de familles tsiganes lançaient un appel au consul général belge à Paris :
Nous vous envoyons cette lettre pour vous faire savoir que pendant l’exode nous avons évacué et nous sommes partis en France quelques mois et nous retournions en Belgique quand nous avons été pris par les Français et mis dans un camp. Nous sommes des sujets belges et nous n’avons jamais quitté la Belgique où nos enfants et nous-mêmes sommes nés… Ayez la bonté, monsieur, de bien vouloir vous occuper de nous et nous faire rapatrier le plus vite possible car depuis un an nous sommes enfermés nous souffrons la pire des misères » (Gotovitch, 1976, 168-169).
S’il semble que cet appel à l’aide a été entendu dans un premier temps, le consul général de Belgique ne tarda pas à faire machine arrière :
« En septembre 1942, est-ce le résultat de l’appel de Linas ou d’autres interventions, le consul général de Belgique à Paris s’adresse au préfet de Maine-et-Loire en se proposant de régulariser la situation ou de rapatrier de « nombreux Belges qui se trouveraient internés à Montreuil pour manque de pièces d’identité ». Le 6 octobre il est en possession d’une liste de 59 ressortissants belges « ou se disant tels » qu’accompagne la justification des pièces d’identité détenues par 44 d’entre eux. Quatorze familles y figurent, dont les neuf signataires de l’appel. Or, très peu de temps après, le consul s’adresse cette fois au curé dans la paroisse duquel est édifié le camp, remet entre ses mains le sort des tsiganes, et lui confie qu’il ne sait que faire d’eux. ‘Ces romanichels n’ayant jamais voulu être rapatriés en Belgique.’ Se peut-il qu’ils aient ainsi changé d’avis ou les difficultés administratives s’avèrent-elles insurmontables ? Nous l’ignorons mais un élément neuf intervenant au début de l’année suivante pourrait fournir une explication. Début 1943 en effet, sous condition d’avoir trouvé employeur et logement et sur avis favorable des autorités, l’autorisation de s’établir librement au-dehors peut être accordée. Le lieu de résidence doit être obligatoirement situé à plus de 20 km du camp. Or, il nous l’a été confirmé par les rescapés, certaines familles disposent de sommes importantes et la location ne pose pour eux aucun problème. Des viticulteurs de la région leur offrent du travail. Une série de demandes sont ainsi introduites qui se traduisent d’avril à juillet 1943 par la libération successive d’au moins neuf des familles sur les quatorze que mentionnait la liste fournie au consul belge » (Gotovitch, 1976, p.173).
Cependant, cette liberté enfin retrouvée ne dura pas. Il y aurait même fort à penser qu’elle causa la perte des familles qui avaient lutté pour leur sortie de Montreuil-Bellay :
« Sans trop que l’on sache pourquoi ni comment, dans la seconde moitié de 1943, une partie, mais une partie seulement, des internés de Montreuil-Bellay (y compris beaucoup de libérés) sont repris ; quarante-trois des cinquante-neuf noms de la liste figurent dans le convoi d’Auschwitz. Il apparaît qu’ils ont transité une quinzaine de jours à la prison de Loos-Lille avant d’échouer, le 9 décembre 1943, à Malines. Leur présence ainsi que celle de plusieurs internés arrêtés dans le nord de la France nous porte à croire que ce dernier transport comportait essentiellement les tsiganes de Montreuil et ceux raflés dans les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais » (Gotovitch, 1976, 174).
Malgré une irrégularité générale observée dans les trajectoires de détention, le parcours des familles tsiganes libérées de Montreuil-Bellay, puis arrêtées à nouveau et déportées à la caserne Dossin, soulève une question : « pourquoi Maline, et non Drancy, antichambre française d’Auschwitz ? » (Bernadac, 1979, p.144).
Références :
- BERNADAC, Christian, (1979). L’Holocauste oublié. Le massacre des Tsiganes. Le Livre de Poche, 2001.
- GOTOVITCH, J., (1976). Quelques données relatives à l'extermination des Tsiganes en Belgique. Cahiers d’histoire de la seconde guerre mondiale, 1976, no 4, pp. 161-180.
- Heddebaut, M., (2018). Des Tsiganes vers Auschwitz. Le convoi Z du 15 janvier 1944. Editions Tirésias.