Si les activités de recensement et de fichage des Tsiganes se sont développées en France dès la fin du 19ème siècle (voir l'onglet « Europe-France-Administration des Nomades »), ce n’est que plusieurs décennies plus tard que des mesures similaires furent développées en Belgique.

En 1933, le système dit de la « feuille de route » est mis en place en Belgique, là où le port d’un carnet anthropométrique était obligatoire pour les Tsiganes en France depuis 1912 :

« Le régime en vigueur au déclenchement du conflit datait de 1933, quand la Police des Etrangers décida d'établir leur identité, les soumit à photographie et dactyloscopie et leur délivra une feuille de route munie de photo et valable trois mois. La tolérance de stationnement était laissée à la discrétion des pouvoirs communaux qui pouvaient limiter ou interdire l'autorisation de 48 heures généralement appliquée. Sans entrer ici dans des détails superflus, notons cependant qu'en matière internationale, des accords particuliers avec la France expliquent une perméabilité plus grande entre ce pays et la Belgique » (Gotovitch, 1976, p. 165).

Le début de la seconde guerre mondiale marque un tournant dans le traitement administratif des Tsiganes en Belgique. L’année 1940 coïncide avec l’introduction d’une première mesure officielle à leur encontre, mais sans que les Tsiganes soient explicitement ciblés : « L'ordonnance du 12 novembre 1940 interdit le commerce ambulant dans les deux Flandres et dans l'arrondissement d'Anvers » (Gotovitch, 1976, p. 166).

Dans un second temps, l’arrivée de l’occupant nazi a été suivie par l’introduction de mesures hautement plus sévères, et ouvertement raciales : « Des mesures spécifiques et sans ambiguïtés à l’encontre des Tsiganes, sont prises en avril 1941 : la Militärverwaltung décide que les séjours des ‘nomades de race’ ne sont plus autorisés sur ces territoires, ce qui se traduit sur le terrain par des recherches dans les campements, des transferts vers l’intérieur du pays et des expulsions. Les individus ne sont plus inquiétés et marginalisés pour leur mode de vie, mais selon des critères nazis : nomadisme et ‘race’ sont désormais indissociés » (Heddebaut, 2018, p. 66).

Une nouvelle forme de fichage a ensuite été introduite via la circulaire du 12 décembre 1941, avec des retombées tant sur le plan de la symbolique que sur celui du contrôle administratif. Cette mesure, prise à l’initiative de la Police des Etrangers, modifie le statut administratif des Tsiganes en remplaçant la feuille de route par une « carte de nomade ». Dès le 21 janvier 1942, le port de la carte de nomade devient obligatoire pour tous les Tsiganes âgés de 15 ans accomplis.

« Tenant lieu de ‘permis de séjour provisoire’ la carte de nomade - dénommée significativement en néerlandais zigeunerkaart - avait une validité de trois mois. Mais le 5 de chaque mois, elle devait être visée par le commandant de la brigade de gendarmerie la plus proche du lieu de séjour. (…) Via les gouverneurs de province, appel était fait aux polices communales : elles devaient mettre à disposition de la gendarmerie les romanichels rencontrés sur leur territoire. » (Gotovitch, 1976, p. 166)
Les polices communales étaient donc chargées de mettre à disposition de la gendarmerie les groupes de Tsiganes rencontrés dans leurs régions. Ceux-ci restèrent cependant relativement libres de circuler pendant un temps, contrairement à la France où les autorités françaises avaient décrété l’assignation à résidence de tous les nomades dès le 6 avril 1940.

« Jusqu'en 1943, en Belgique occupée, les Tsiganes purent ainsi poursuivre leurs activités sans être particulièrement inquiétés. Leurs déplacements y compris dans le Nord de la France s'effectuent normalement. Les groupes sont simplement plus réduits pour échapper autant que faire se peut aux contacts avec les troupes d'occupation dont les brimades sont craintes. Une mention explicite de la carte de nomade interdit d'ailleurs 'au titulaire du présent titre, ainsi qu'aux personnes vivant dans la même roulotte de se joindre à d'autres bandes de nomades'. Les familles restent cependant groupées, les arrestations le prouveront tragiquement » (Gotovitch, 1976, p.166).

Au-delà de ce qui se profile aujourd’hui comme un dispositif de contrôle, d’autres motifs pourraient éventuellement prétexter la mise en place de cet arsenal administratif : « Ce dispositif n’aurait peut-être pas été instauré en vue d’un contrôle plus sévère, mais en raison des contraintes du ravitaillement et de son organisation, la Police des Etrangers disposant déjà de dossiers très étoffés » (Heddebaut, 2018, p. 67).

Dans tous les cas et quel que fut l’objectif recherché, le résultat reste cependant imparable : le système administratif de la feuille de route, puis de la carte nomade, a permis un recensement et une centralisation des données relatives à la population tsigane, allant de la composition des familles à leurs moindres déplacements. Heddebaut suppose également que la mise en place d’un tel régime d’exception a eu pour effet de renforcer une suspicion et des stigmates déjà bien ancrés, contribuant peut-être à justifier aux yeux des populations sédentaires les mesures plus drastiques qui seraient prises à l’encontre des Tsiganes dans le futur :
« On peut cependant imaginer qu’une opération de cette envergure a permis de faire le point sur la question tsigane en Belgique, recensement et contrôle allant de pair. Et qui plus est, une telle démarche a pour conséquence d’ostraciser encore davantage une population ciblée et peut être interprétée comme un conditionnement de l’opinion et une préparation mentale à des mesures plus extrêmes, les étrangers et les Tsiganes étant associés au problème du maintien de l’ordre public » (Heddebaut, 2011, p. 68).

L’historien et conservateur à la caserne Dossin, Herman van Goethem, corrobore cette supposition. Il évoque l’existence préalable de stigmates racistes à l’encontre des Tsiganes à travers tout le continent, sans que cela soit limité à la doctrine nazie : « La pensée raciale dans laquelle les Roms étaient considérés comme inférieurs était bien accueillie dans toute l'Europe ».
Pour les Tsiganes, le cadre général de la Belgique occupée fut donc celui d’un recensement majeur et d’un système de fichage systématique à l’initiative des autorités belges. Souvent, ces mesures furent couplées d’initiatives locales, quasi personnelles menées par des policiers ou des membres des administrations communales.

« En janvier 1942, l'officier de police belge Standaert prit l'initiative d'enregistrer les "sans-abri de race". La raison en était que les gitans abuseraient de l'orthographe instable de leur nom de famille pour pouvoir récupérer deux fois plus de coupons de rationnement. L'enregistrement était conforme à l'enregistrement des Juifs, imposé par les Allemands et réalisé par les Belges, mais ici c'était à l'initiative de la Belgique. C'était le deuxième enregistrement ethnique - illégal - pendant les années de guerre ».

Références :

• Heddebaut, M., (2018). Des Tsiganes vers Auschwitz. Le convoi Z du 15 janvier 1944. Editions Tirésias.
• Gotovitch, J., (1976). Quelques données relatives à l’extermination des Tsiganes. Cahiers d'Histoire de la seconde guerre mondiale, IV, 1, pp. 161-180.
• Tine Danckaers, « De vergeten vervolging van de Roma». Mondiaal Nieuws, 4 avril 2014.



Source : https://www.mo.be/analyse/de-vergeten-vervolging-van-de-roma