Dans son ouvrage « La sûreté publique belge face aux Tsiganes étrangers », l’historienne France Nezer a investigué les politiques mises en place à l'égard des Tsiganes en Belgique, de 1858 à 1914. On y découvre que les populations Tsiganes, quelle que soit leur provenance, étaient à la charge de l’administration de la Sûreté publique, alors organe central de la Police des Etrangers.

France Nezer révèle aussi qu’au fil des années, et indépendamment des changements de politiques les concernant, les mesures prises à l’encontre des Tsiganes pendant la période étudiée ont été caractérisées par un objectif d’expulsion et par des pratiques de renvoi aux frontières. Au cœur de ces revendications d’expulsion : le mode de vie mobile des Tsiganes, qualifié d'errance, supposé mettre en danger le bien-être et l'ordre public. « Tout au long de la période investie par cette étude, les responsables qui se succèdent à la tête de l'administration de la Sûreté publique motivent la nécessité de débarrasser le sol belge des Tsiganes étrangers en proférant de vives critiques à l'encontre de leur mode de vie singulier et de leurs mœurs déloyales » (Nezer, 2011, p. 84).


La période étudiée est décisive puisqu’elle correspond à celle qui suivit la proclamation de l’indépendance et de la neutralité de la Belgique, l’affranchissant de ses liens vis-à-vis des Pays-Bas. Ce que l’on observe, c’est qu’avec la création de la Belgique et le passage au modèle d’Etat-Nation est arrivé progressivement un tournant dans la perception et le traitement administratif réservé aux populations nomades. Le nouvel état se doit de délimiter ses frontières géographiques, mais aussi de définir qui est ressortissant et citoyen de cet état, et qui y est étranger. Jusqu’à la fin du XIXe, cette définition est restée particulièrement large : « l'étranger est celui qui n'a pas la nationalité belge, qu'il soit d'une autre nationalité ou qu'il ne puisse se prévaloir d'aucune nationalité » (F. Nezer, 2011, p. 41).

A l’heure de l’indépendance de la Belgique, les Tsiganes capables de prouver qu’ils étaient installés durablement sur le territoire obtinrent la nationalité belge : « (…) on recensera dans le pays des Tsiganes qui, ayant échappé aux mesures d’exclusion et de réclusion des siècles passés, se seront définitivement installés dans les contrées belges, abandonnant le nomadisme pour mener une vie sédentaire. Ceux qui séjournent en Belgique avant le 1er janvier 1814 acquerront, à l’heure de l’indépendance, la nationalité belge et jouiront, à ce titre, des mêmes droits que les nationaux » (Nezer, 2011, p. 41).

Pour le reste de la population Tsigane, qui sillonnait les routes de Belgique et des pays voisins, la situation se compliqua hautement après 1830. En effet la Sécurité publique, afin d’identifier et de contrôler plus efficacement les étrangers allant et venant sur le sol belge, a développé un système de surveillance de tous les voyageurs, qui a fini par se focaliser sur les migrants étrangers, et particulièrement les étrangers non-résidents, qu’aucune disposition législative ne protégeait 1 .

Or à l’époque, les Tsiganes, y compris ceux nés sur le territoire, ne pouvait généralement pas prétendre à un droit de résidence. Ayant conservé un mode de vie mobile, ils se retrouvèrent systématiquement identifiés comme « des nomades étrangers de nationalité indéterminée » par l’administration. Ils entrèrent alors progressivement dans les catégories régies par la sûreté publique, organe central de la Police des Etrangers. Celle-ci leur réserva un contrôle auquel, « à l’instar des autres vagabonds et mendiants, (ils) sont soumis plus que tous autres étrangers » (Nezer, 2011, p. 24).

C’est ainsi que la situation devint particulièrement difficile pour les Tsiganes désireux de revenir ou d’entrer en sol belge après 1830, d’autant plus qu’en tant que non-résidents ils ne bénéficiaient d’aucun recours face aux décisions prises par la Sûreté publique. De nombreuses familles ont ainsi fait l’expérience d’une reconduite à la frontière, notamment durant les arrivées massives qui ont caractérisé la deuxième moitié du XIXe :

« Parmi ces nomades, certains obtiendront la nationalité belge par hasard ou parce qu’on leur aura retrouvé un ascendant belge. Toutefois, la plupart seront considérés comme des étrangers et soumis, en conséquence, au contrôle de l’administration de la Sûreté publique qui pourra prescrire, au nom du principe de la souveraineté territoriale, leur éloignement du pays » (Nezer, 2011, p. 40).


Référence :

  • Nezer, F., (2011). La Sûreté publique de l’état belge face aux Tsiganes étrangers.

(1) « Tandis que la décision d’accorder ou non la résidence à un étranger entre dans les attributions de l’administration la Sûreté publique, celle-ci peut intimer l’ordre de renvoyer les étrangers non-résidents pour des motifs aussi larges qu’arbitraires. Quoique vivement contestée par de nombreux juristes, cette prérogative demeure intacte jusqu’au-delà du XIXe siècle » (Nezer, 2011, p. 40).